En cela, il ne s’agit pas de concevoir
la contrariété pour ce qu’elle a d’inopérant,
d’inefficace ou d’infructueux. Il est davantage
question de l’envisager pour ce qu’elle a de
productif ou de fondamental. Le principe étant que
les contradictions sont, en réalité, complémentaires.
On relève que le Musée Français de la Carte
à Jouer possède une identité forte, au niveau
de ses intentions muséales, patrimoniales et même
architecturales. Surtout, il s’articule autour
de collections de cartes à jouer. Si tout porte à
croire que les travaux des artistes sollicités sont
éloignés des préoccupations du musée, ce qui crée une
sorte d’ambiguïté, de différentiel, sans doute s’agit-il,
au contraire, d’une occasion, d’une opportunité.
En premier lieu, parce que toute pratique artistique
suppose, semble-t-il, qu’elle puisse empoigner
ce qui lui est extérieur, de façon à s’en nourrir,
à s’en inspirer, afin qu’elle soit en mesure de se
renouveler. En second lieu, parce que l’idée de jeu,
en elle-même, est propice à l’expérimentation, aux
tâtonnements, à l’épuisement des possibles, afin
que, là aussi, des polarités insoupçonnées puisse
jaillir. Enfin, en dernier lieu, l’analogie du titre
de l’exposition avec cette formule de Rimbaud,
“Je est un autre“, est une manière pour l’artiste
de considérer l’étranger en soi, ce qui se lit comme
un moyen de prendre conscience des frontières, des
obstacles qui nous caractérisent, mais aussi comme
une invitation à devenir différent. “Être un autre“
possède alors une dimension émancipatrice, mais
aussi un potentiel de considérations sociales voire
politiques, dès le moment où il s’agit, également,
d’être attentif à l’“Autre“.
L’exposition “Je(ux) est un autre“ propose ainsi
plusieurs niveaux de lecture. Aussi, si la force
de cette proposition repose sur sa faculté à concilier
différents ordres artistiques, en allant du plus
singulier, du plus intime ou du plus personnel – par
la considération du “je“ – au plus universel, avec
la prise en compte de l’“Autre“, on peut également
imaginer une certaine diversité dans
les esthétiques et les pratiques qui seront
envisagées. En effet, partant du principe que
les travaux des artistes sollicitent la notion d’altérité,
quelles formes, quelles visibilités espérer ?
De quelle façon, éventuellement, concevoir le caractère
ludique de la contradiction ? Et surtout, comment
la montrer ? Dans cette optique, il est intéressant
de relever, à nouveau, l’association entre ces deux
entités qui composeront l’exposition – les artistes
des Arches d’un côté, les artistes du Salon de
Rebecca de l’autre – dès lors qu’elle met en exergue,
dans son fonctionnement même, ce motif
de l’échange et de l’altérité. La mise en œuvre
de cette exposition montre que les artistes, en dépit
de la pluralité des personnalités, des sensibilités
et des géographies, sont loin d’être incompatibles ;
au contraire, ils sont aussi, parfois, leur propre
matière et source d’inspiration.
Julien Verhaeghe